Tchakmanawa (#1)

Tchakmanawa

épisode #1

On allait loin. C’était un voyage qui durait des heures, au moins cinq heures.

On allait loin dans nos têtes et dans nos rétines de base. On regardait la route avalée par le pare-choc de la caisse sur l’autoroute. A plusieurs dans la bagnole vers le projet de région sud-est, vers le nouveau chantier. Lui.

Sur l’autoroute les routes, c’est la même route. La route de l’autoroute dans nos yeux de ferrailleurs en Europe.

On dormait vers les forêts pour ne pas payer l’hôtel et garder la solde prévue pour le logement. Le patron n’en savait rien en 1977.

Lui, il voulait monter la ferraille, de la ferraille, c’est tout. Partout.

On travaillait ensemble, on vivait ensemble, on disait. On dirait comme des animaux, des humains-animaux-hommes-travail.

C’était des ouvriers avec une sale gueule un peu, voilà.

Une gueule parmi d’autres gueules silencieuse sur de la ferraille. La gueule bien, les mains qui malaxent et fracassent la ferraille . Le bruit dur  long n’importe comment  est, il  va  loin dans sa ferraille. La ferraille tape la ferraille jusqu’aux grillages des patelins et vibre et choc les dents des gueules silencieuses et broie fixe puis démolie enfin recrée de la ferraille à coup de pelles en acier anti-usure dans le crâne-ferraille anti-usure.

Des gueules stupéfaites, silencieuses qui malaxent. Ça coule pas de l’ or, ça coule que ferraille. Sans cesse de ça. Deux millions de tonnes de métaux en tout genre et tout point tout honneur. C’est la fête d’une ferraille France en chanson, elle va chanter en millions de tonnes sur les corps des gueules de base.

Des gueules dures sur chantiers mouvants, en déplacement en France. Eux , les hommes-ferraille qui sourient à un chien qui aboie moins fort que leur sale et propre ferraille.

L’affaire se passe sous le mistral. La ferraille contre le vent, ou avec du vent. Ça dépend des saisons, ça dépend des contrats avec l’agence d’intérim de la rue principale de la ville de la sous-préfecture du mistral.

Des hommes-ferraille sur le bord de la cité  occidentale et des « gamelles-romssa. »  La « gamelle-romssa » c’est la « gamelle-ragoût. »  La gamelle de celui qui va se faire exploiter pour toute la famille, et « il le sait », et il va se taire jusqu’à se la fermer une bonne fois pour toutes devant sa gamelle, devant les enfants qui le regardent partir en gamelle-romssa. Le salut.

C’est ça, la gamelle-romssa. C’est dit entre eux. C’est conçu entre eux, c’est ainsi convenu. Ça se sait depuis le début de l’embauche, au moment de la signature du contrat de travail, en 1977.

On croisait les putes dans les chantiers, elles travaillaient surtout en fin de semaine, lorsqu’on a touché la paye. « Tchakmanawa », c’est le terme pour demander la paye au patron. « Tchakmanawa patron!»

Dans nos bouches l’odeur du tabac à priser, « La cheuma. »

« La cheuma »  écrasée dans la bouche est la langue ferraille travestie en  jour de sourires.

Les sourires-lumière ferraille ont gagné la paye tous les vendredis soir à 17H30, sur le chantier en 1977.

Les sourires lents, fatigués de courir après une ombre hors d’atteinte. Un quinté, un quinté plus pour s’en sortir définitivement. Un cri.

Hedi Cherchour

*

épisode #2 >

.

.

*

.

.

.

.

.

*

.

.

.

.

.

*

.

.

.

.

.

*

.

.

.

.

.

*

.

.

.

.

.

.

*