Tchakmanawa
épisode #2
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La nuit était lourde et rouge, le jour pas au niveau, jamais. Huit heures de travail obligatoirement perverses, dégueulasses. Les mains dans le plâtre ou la merde des canalisations des centres-villes. De la ferraille sous nos peaux, entre les dents et dans le crâne. C’était l’histoire de la boite crânienne en ferraille d’arabes première génération crevée. Le patron était souvent italien, il s’appelait Manuardi, avec notre accent on a transformé «notre chèque Manuardi!» en «Tchekmanawa». Ça l’énervait d’entendre ce mot bizarre, au patron de la ferraille. Tchekmanawa, tchekmanawa. La langue de l’exil Tchekmanawa. Quand on allait travailler, on pensait à nos enfants, à nos factures. On pensait de la saleté, de la propreté, en cachette de nous, de nos regards furtifs et orgueilleux croisés dans la voiture de la ferraille travail. On pensait à l’univers aussi, à se sentir utile dans le bagou du monde. Le bagou du monde qui trace cette putain de route. On roulait vite vers le nouveau chantier rempli de ferraille à tordre puis à chauffer avec la rage sous le regard curieux des collégiens du coin. On était déjà des souvenirs, des passages, les «Eux-là-bas t’as vu ce qu’ils font à la route avec leur tas de ferraille». Même au Pmu, on avait besoin d’appeler dieu de toutes ses forces. C’est vrai. La mort nous avait baisé, la vie nous avait baisé, dieu nous a baisé. Mais parfois étrangement, la vie nous faisait l’amour, le monde nous aimait, les autres.
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