Le Canto LXXXI d’Ezra Pound

Canto LXXXI

 

Zeus est couché sur le sein de Cérès
Taishan assiste à ses amours
………………..en bas de Cythère, avant le coucher du soleil
Et il dit (en espagnol) : « il y a ici beaucoup de catholicisme
………………..et bien peu de religion. »
et il dit aussi : »Je pense que les rois disparaissent »
c’était le père José Elizondo
………………..………………..en 1906 et en 1917
aux alentours de 1917
………………..et Dolorés a dit « Viens manger, mon enfant, » mange le pain
Sargent l’a peint
………………..………………..avant de descendre
(i.e. si il est descendu
………………..à cette époque il a fait des croquis sur le pouce,
d’impressions de Vélasquez au Musée du Prado
et le livre coûte bonbon,
………………..des chandeliers de cuivres en proportions,
Des vents chauds venus des marées
………et le froid mortel venu des montagnes
Et plus tard Bowers a écrit : « je n’ai jamais conçu une telle haine »
………et les rouges de Londres ne se montraient pas ses amis
(i.e. ami de Franco travaillant à Londres) et à Alcazar
quarante années disparu, ils ont dit : retourne à la station pour manger
on peut y dormir pour un peseta »
………………..les clochettes des chèvres ont teinté toute la nuit.
………………..et l’hôtesse a souri : Eso es ludo, haw!
mon mari est mort, je suis en deuil
et elle m’a donné un papier pour écrire
avec une bordure noire, large d’un demi-pouce, au moins,
……ce n’était pas loin de l’ auberge
« Nous appelons tous les étrangers des frenchies »
et l’œuf s’est cassé dans la poche de Cabanez,
………………..ces choses font l’histoire. Basil a dit
qu’on a entendu jouer les tambours pendant trois jours
jusqu’à ce que les peaux soient usées
………………..(simple fête de village)
aussi comme quand il vivait aux Canaries…
Possum observa que les danses populaires de portagoose
étaient dansées dans différents pays par les mêmes
………………..en politique de bienvenue…
technique de communication
………………..Cole étudia ça (pas G.D.H., Horace)
« Tu trouveras » dit le vieux André Spire,
tous les hommes à bord (Crédit Agricole)
ont un beau frère
………………..« Tu es tout, je suis bien peu »
………………..disait John Adams
en parlant de la peur
………à son volatile ami, monsieur Jefferson
(Pour briser le pentamètre, la première vague)
ou comme le dit Jo Bard : ils ne se parlent jamais entre eux,
on voit un boulanger et une concierge
…………….mais on entend La Rochefoucault et de Maintenon clairement
« Te cavero le budella »
………………..…………..« La corata a te »
(Je t’ouvre les tripes!
– à ton courage!)
Dans le temps qu’une époque géologique
………………..………………..dit Henry Mencken
« Certains peuvent changer, d’autres non
……..les choses sont ainsi »

Iugx.  .  .  .  . ’en podwma n andra

Ce qui compte c’est le niveau de culture,
……..Remercie Benin pour sa table en carton d’emballage
……..« As-tu dis à quelqu’un que c’est moi qui l’ai fabriquée »
……..……..……..……..d’un masque d’une beauté rare à Francfort
« Je te ferai décoller de terre »
……..……..……..……..léger comme la branche de Kuanon
au début tu seras déçu
sur les quais nus et délabrés(1)
et puis la roue prendra de la hauteur
……..……..……..……..et tout ira mieux
George Santayana arrive au port de Boston
Il fut retenu toute sa vie dans ce petit
théâtre espagnol
……..……..……..……..avec une grâce quasi imperceptible
comme l’a fait Muss le v (for) u de la Romagne
il a dit que souffrir était un acte plein
………………..qui se répète pour chaque nouvelle consolation
travaillant l’être jusqu’au climax.
Et George Horace dit qu’il veut « avoir Beveridge » (en sénateur)
Beveridge ne dira rien et n’écrira rien dans les journaux
mais George l’a eu en campant dans son hôtel
en l’assaillant au petit déjeuner, au déjeuner, au dîner:
……..……..……..……..trois articles
et mon père est arrivé mâchonnant
………………..pendant que George lui parlait:
passe par ce coin de terre en friche
………………..………………..tu y verras sûrement quelques lapins
et peut-être même un qui s’échappe
………………..AOI!!
………………..une feuille dans le courant
………………..………………..………………..à mes grilles, pas d’Althea(2)

Livret

Déjà
Arrive la mortelle saison du froid
Portée par l’épaule d’un Zephyr
Je rose à travers le ciel auréolé

………………..………………..Lawes and Jenkyns demeurez en paix
………………..……………..Dolmetsch tu seras toujours bienvenu,

A-t-il travaillé le bois de la viole
Pour renforcer les graves et les aiguës?
A-t-il bien incurvé la caisse de résonance?

………………..……………..Lawes and Jenkyns demeurez en paix
………………..………………..Dolmetsch tu seras toujours bienvenu

As tu façonné l’air de tes humeurs
…………Pour que se dessine des racines le sommet?
As-tu façonné un nuage plus léger
…………Que l’ombre d’une brume?

………………………………….Répondez, dites-moi d’abord
………………………………….Si Waller a chanté ou si Dowland a joué

…………………….Tes yeux, deux phares, soudain m’ont réveillé
…………………….J’aimerais me soumettre à leur beauté

Et depuis 180 ans quasiment plus rien.

Et puis, dans le courant léger des souvenirs
……………….j’ai revu ces yeux insensiblement dans ma tente,
à moins que ce ne soit hypostase de l’esprit
……………….………comme dans un bal masqué
ou bien un carnaval
……………….……………….……………..jamais des yeux en colère
……………….J’ai vu, non seulement les yeux mais la stature du regard,……………….……………….
couleur, diastasis
……….négligeant ou ignorant qu’ils prenaient tout l’espace
……dans la tente
que ce n’était pas l’endroit pour une initiation
se glissant, pénétrant
……….….cherchant dans l’ombre à travers les autres lumières
……….……….………la clarté du ciel
……….……….………la nuit sur la mer
……….……….………brillants par les  yeux du masque
……….……….…….. dans l’espace à moitié masqué
Souviens toi bien quand tu as senti l’amour
……………… …………….. …………………………….le reste n’est que de l’écume
Ce que tu aimes ne doit pas te recouvrir
Ce que tu aimes est-ce qui te fonde.
C’est quoi ce monde, le mien, le leur
……………………………………………………….ou celui de personne?
D’abord vient la vision puis ce qui est palpable
………………………Elysium, même si nous étions dans les couloirs de l’enfer,
Ce que tu aimes est-ce qui te fonde
Ce que tu aimes ne doit pas te recouvrir

La fourmi est centaure dans son monde de dragons.
Laisse tomber la vanité, elle n’est pas l’Homme
Fait de courage, fait de discipline ou de grâce,
……….……..Laisse tomber cette vanité, je te dis laisse tomber
Apprends de ce monde verdoyant quelle peut être ta place
En inventant, en réel artiste
Tombe la vanité,
……….……….……………….……….………Paquin(3) humilie toi!
L’uniforme  est d’une toute autre élégance.
« Soit d’abord maître de toi-même »
……….Tombe la vanité
Tu es un chien battu sous la grêle,
Une pie gonflée sous les rayons d’un soleil capricieux
Moitié noire moitié blanche
On ne distingue l’aile de la queue
Tombe la vanité
……….….……….Comment dire ma hargne
A force de fausseté,
Trop de rage à détruire, si peu de charité
……….….……….Tombe la Vanité
Laisse là tomber, je te dis.

Avoir agi au lieu de ne rien faire
……….….……….ce n’est pas de la vanité
J’ai frappé poliment, quelqu’un aurait dû ouvrir
Pour avoir capté dans l’air la tradition de la vie
la flamme d’un regard ancien invaincu
Ce n’est pas de la vanité
……….….Ici l’ erreur est toute entière  dans le fait de ne rien faire,
et le sens du défi qui manque .  .  .

Ezra Pound

Librement traduit en langue française par Marie Möör, avril 2015.
……
1 – Citation : « the bare ram-shackle quais » – ramshackle est un adjectif signifiant [house, building, hotel]  mais aussi [system, organization] délabré(e). Le passage peut aussi suggérer le nom d’un débit de boisson, le Ramshackle Bar.
2 – Althea peut désigner la plante Hibiscus syriacus ou le nom de la fille du roi Thestius d’Étolie. Il peut aussi s’agir d’une référence aux grilles en fer forgé que l’on trouve en Espagne et qui reprennent le motif floral.
3 – Paquin : maison de Haute couture parisienne du début du 20ème siècle.


Né à Hailey, territoire de l’Idaho, le 30 octobre 1885, il est mort le 1 novembre 1972 à Venise. Comme critique et éditeur, Pound a favorisé les carrières de William Butler Yeats, Eliot, Joyce, Wyndham Lewis, Robert Frost, William Carlos Williams, H.D., Marianne Moore, Ernest Hemingway, D. H. Lawrence, Louis Zukofsky, Basil Bunting, George Oppen, Charles Olson et d’autres écrivains comme Walter Savage Landor et Gavin Douglas.
«Under white clouds, cielo di Pisa out of all this beauty something must come»
Très jeune passionné par François Villon (dont on retrouve des vers dans Les Cantos) et la poésie des troubadours, il dira même avoir été formé techniquement par les poètes français, Pound est connu comme un grand poète mais ses cantos restent encore peu lus aujourd’hui. Arrêté et mis en cage à Pise en 1945 par l’armée américaine, puis interné pendant 13 ans dans un asile psychiatrique de Washington. Il fût finalement libéré sans procès et termina sa vie plongé dans un profond silence. Une visite de Pasolini est filmée vers la fin des années 60. C’est la visite de Dominique Deroux qui le fait connaitre en France avec la parution d’un « spécial Ezra Pound » aux Cahiers de l’Herne en 1965. Il répondra à la question : « Pourquoi avez vous choisi le silence? » Après un long moment : « Ce n’ est pas moi qui ait pris le silence, c’est le silence qui m’a pris ».

Ezra Pound (Ombre brûlante)
Les Cantos, un long poème écrit comme une suite du voyage de Virgile et de La divine Comédie de Dante, en anglais, italien, espagnol et avec des idéogrammes chinois, parfois des mots grecs. Les Cantos est une immense fresque, une traversée à travers les ombres et la lumière, le bien le mal, la douleur et l’extase. Un combat en coups de poings, saignées lentes, couteaux tirés, où le temps et l’espace, les corps des vivants et des morts sont traversés par l’âme attentive, le guerrier et l’homme de paix, une tentative démentielle, un grand défi pour retrouver la candeur.


Résurgence d’une vision, identique à celle de Marguerite Porete que l’on peut trouver dans le dernier paragraphe de son livre écrit en Flandres au XIVème siècle. Marguerite Porete, ou Marguerite Porrette ou la Porette, est une femme de lettres mystique et chrétienne du courant des béguines, née vers 1250, brûlée le 1er juin 1310 avec son livre Le Miroir des âmes simples.



 Canto LXXXI d’Ezra Pound, extrait :

[…]
Your eyen two wol sleye me sodenly
                    I may the beauté of hem nat susteyne
And for 180 years almost nothing.
Ed ascoltando al leggier mormorio
        there came new subtlety of eyes into my tent,
whether of the spirit or hypostasis,
            but what the blindfold hides
or at carneval
                                  nor any pair showed anger
            Saw but the eyes and stance between the eyes,
colour, diastasis,
      careless or unaware it had not the
   whole tent’s room
nor was place for the full EidwV
interpass, penetrate
      casting but shade beyond the other lights
              sky’s clear
              night’s sea
              green of the mountain pool
              shone from the unmasked eyes in half-mask’s space.


[…]


Le Miroir des âmes simples de Marguerite Porete, extrait :

Il peut bien arriver que l’on ne trouve pas en un royaume deux créatures qui soient du même esprit mais si par hasard ces deux créatures se trouvent l’une l’autre, elles vont s’ouvrir l’une à l’autre sans pouvoir se cacher et voudraient elles se cacher qu’elles ne le pourraient pas de par la conditions de leur esprit et de leur complexion, de par le genre de vies auxquelles elles sont appelées, qu’elles le veuillent ou non. Ces gens là ont grand besoin d’être sur leur garde si elles n’ont pas atteint le sommet et la perfection de la liberté! Et c’est pourquoi, si Dieu vous a donné sa haute création, sa lumière excellente et son amour particulier, je vous dis ceci en conclusion : soyez féconds et accroissez cette création sans y manquer, car ces deux yeux vous regardent sans cesse, et si vous considérez et regardez cela comme il faut, ce regard rend l’âme simple.



Version originale en anglais sur le site :
POETRY FONDATION



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