PLI numéro 3

La revue Pli vient de publier la version électronique de son numéro 3 de janvier 2015.

Une publication papier (édition épuisée) avec : Beurklaid, Philippe Castellin, Stéphane Chavaz, Hédi Cherchour, Emma Cozzani, Amina Damerdji, Nicolas Daubanes, Justin Delareux, Emma Dixon, Jocelyn Gasnier, Jean-Marie Gleize, Johan Grzelczyck, Kevin Hautefeuille, Alexis Judic, Simon Le Lagadec, Marius Loris, Charles Pennequin, Marc Perrin, Elodie Petit, Yannick Torlini, Patrick Sainton.

Nous avons le plaisir de partager avec vous un affichage sur cette page. Vous pourrez notamment retrouver un texte d’Hédi Cherchour, La veine (page 109) qui propose sur RDO, l’atelier Mauvais sang ainsi que tous les auteurs cités ci-dessus.

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Pour accompagner cette présentation, nous vous proposons la lecture d’un échange avec Justin Delareux qui assure depuis sa création, la production, la coordination et la diffusion de la revue PLi.

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Le nom de la revue, PLi et très vite à l’esprit quelque chose qui échappe au monde du virtuel. PLi ou le phénomène plastique, presque matériel, déjà en tête à la lecture du mot.

PLi est (tentative) commune d’acte et de pensée. Parfois des croisements opèrent et ce sont ces croisements, ses frottements, qui permettent et proposent d’interpréter un moment du monde, de fixer comme le bruit du temps. PLi est un espace d’assemblage, une marge, une carte sans contour sur laquelle il faut encore chercher les chemins, la plupart incomplets. Un peu comme un vase brisé que l’on recolle, un vase ou un cendrier. J’ai créé PLi de manière incomplète. C’est à dire à ma mesure d’homme. À travers un quotidien relativement pauvre.

Chemin faisant, comment se construit un tel rassemblement, ce rassemblement? Il y a toujours un peu de magie et en germe, tout un imaginaire possible derrière la réunion d’un collectif qui se présente à nous de front, rassemblé pour le numéro d’une revue. Avant, il y a le cheminement, le hasard, la rencontre et la bifurcation mais aussi, le projet, la visée comme partir dans une direction. Il y aura bien une certaine façon de se déplacer, d’approcher le monde, de traverser, de rassembler etc. et c’est aussi ce qui fait part de l’identité d’une publication – alors comment est redonnée l’idée d’un construire? Ce construire?

C’est un des enjeux de la revue je pense, réussir à dessiner ces horizons communs avec des singularités éloignées qui parfois ne se connaissent pas, réunir de jeunes auteurs inconnus à côté d’auteurs disons confirmés, d’autres pas auteurs du tout, sans leur imposer aucun thème, ni même les orienter vers quoique ce soit. Bien-sur c’est une forme d’objectivité impossible, car c’est moi qui choisi les auteurs, j’échange avec eux et ils savent qu’il y a cette chose commune en fond. Dans l’organisation actuelle des choses, même architecturales, rien n’est fait pour que les êtres se rassemblent, conspirent, tout nous divise, de l’obligation du travail à l’agencement hygiéniste de nos villes par d’incapables urbanistes, nous nous croisons, certes, mais nous, nous souhaitons nous arrêter et montrer ce qu’il y a. Construire est un pendant, un pendant dont il faut parfois rendre compte, comme d’un travail en cours. Ce que je souhaite construire si je fais une revue c’est une commune d’acte et de pensée. Une commune peut être physique, matérielle, humaine, elle peut occuper plusieurs milliers d’hectares pendant une longue période, elle peut aussi se déployer dans un espace-temps relativement concis où l’on entrevoit les gestes les plus fulgurants. Une construction avec l’autre et à travers l’autre, dans le temps et à travers le temps, c’est aussi ça un livre, un colis suspect remplit de matériaux. C’est le livre qui fait rassemblement, car finalement les êtres ont déjà des préoccupations convergentes, rassembler physiquement c’est une autre difficulté. Quand à ce que cela produit, une fois le livre terminé, je n’ai pas assez de recul pour vous le dire.

Alors, avant même que soit lancée la revue, qu’est-ce qui a pu préparer et prédisposer à une telle aventure : il y a bien quelque chose de l’ordre du voyage dans ce qui fait le développement d’un tel projet? Et cela nous rappelle la réflexion menée par Gilles Deleuze. Dans l’Abécédaire¹, à V comme Voyage, le philosophe reprend le concept et parle du mot en lui offrant plusieurs nuances : le voyage ou la tentative de rupture, le voyage hors du plaisir de voyager, le voyage intérieur, sans bouger, en terres étrangères, dans un livre, une musique. Il parle aussi du voyage comme cette nécessité d’aller vérifier. Enfin il décrit le concept de nomadisme tel qu’il a pu le réfléchir et pour le citer : « Les nomades, au contraire, à la lettre, ils restent immobiles, c’est-à-dire, tous les spécialistes des nomades le disent, c’est parce qu’ils ne veulent pas quitter. C’est parce qu’ils s’accrochent à la terre, c’est parce qu’ils s’accrochent à leur terre. Leur terre devient déserte, et ils s’y accrochent. Ils peuvent que nomadiser dans leur terre. C’est à force de vouloir rester sur leur terre qu’ils nomadisent. Donc, dans un sens on peut dire : «Rien n’est plus immobile qu’un nomade. Rien ne voyage moins qu’un nomade.» C’est parce qu’ils ne veulent pas partir qu’ils sont nomades. Et c’est pour ça qu’ils sont tout à fait persécutés.» Alors, oui, la revue PLi entretient des liens multiples, variés, explicites ou secrets avec l’idée du voyage. A l’origine du projet – et même bien avant – qu’est-ce qui a préparé à l’aventure?

Lorsque j’étais étudiant, je construisais des dispositifs et des langages, disons plutôt que je disposais des documents dans l’espace. Des peintures, dessins, photographies, sculptures, livres que je réalisais, mais aussi et surtout des détournements, des objets glanés. Je voulais briser les frontières entre les différents champs de l’expression et questionner le geste même de création. J’évoquais une sorte de poésie en acte, qui avait à voir avec la vie, avec son lot quotidien de résistances. Ces travaux ou documents de sources diverses étaient disposés dans l’espace et sur des tables, chaque travail étant un fragment, le tout formant une constellation un corpus, de la même manière qu’on compose une phrase, avec des mots que l’on rassemble, que l’on dispose. Après cinq années d’études je suis sorti de l’école sans argent et sans atelier. Plus d’espace donc pour mettre en place, construire, composer. D’où, peut être, l’émergence de la revue PLi, qui donnait suite à de petits bulletins incendiaires et anonymes que je diffusais depuis quelques années de manière irrégulière.

Quelles ont été les durées de l’objet dans le temps de son élaboration, de sa production, le temps occupé, consacré ; nous pourrions dire les rythmes, ralentissements, accélérations? Comme un amont toujours difficile à appréhender pour le lecteur sauf peut être le bibliophile ; en effet, il a en main un objet fini, un objet qui a trouvé sa forme, une forme devenue lisse pour qu’il puisse aller directement à l’objectif, la vocation principale de l’objet, celle de porter le texte, de rendre possible la lecture. L’angle, l’aspect, les moyens, les techniques mises en œuvre n’interférant plus mais avec pour conséquence de mettre à distance, d’escamoter le travail, le labeur proprement dit pour la fabrique de l’ouvrage. PLi n’est pas inscrit dans une logique de production industrielle, le livre résiste: les exemplaires appartiennent bel et bien à une série mais ils sont arrachés à l’ordre de l’infini industriel, de la série illimité. Rétrospectivement il est peut être possible de discerner des lignes, les choix qui se sont affirmés, ceux qui ont été délaissés, à l’inverse ceux qui se sont précisés, transformés, vivifiés?

Concernant les durées, je parlerais d’un temps étiré, sans interruption, un souci constant. Je dis souci mais ce n’est pas négatif au contraire, il y a la lecture relecture traduction constante, être attentif au dehors, aux êtres, mais ça tout le monde l’est, avec différents degrés de sensibilité. L’élaboration est donc constante. Il n’y a pas de règles non plus concernant la manière de récolter les propositions, c’est parfois moi qui suis allé «chercher» les auteurs, je reçois aussi beaucoup de propositions, que je refuse souvent. Puis il y a la conception physique, à chaque fois un nouveau commencement, penser l’assemblage, la succession des propositions, essayer de faire sens là aussi, de la première à la dernière page du livre. Je dis que le temps n’est pas quantifiable car variable, selon les propositions, les logiques déployées, les situations. J’essaye d’éditer deux numéros par an c’est la seule règle que je me fixe, il y a aussi le problème financier qui impose son lot de contraintes. Tout le monde semble s’accorder à dire que la liberté à un prix, cette dichotomie n’a pour moi aucune logique, rien n’est normal ici, et constater qu’une humanité soit disant éclairée consente à brader sa liberté contre de l’argent c’est un constat d’échec.

Matériellement? L’économie – et bien avant sa réduction par quelques spécialistes focalisant sur une dimension administratrice, la tournure attendue par le politique – c’est bien, avec la polysémie, toute l’activité humaine autour de la production, la distribution, l’échange et même la consommation de biens et de services.  L’économie (du grec ancien oikonomía : «administration du foyer», par extension l’idée de la planète en partage) aurait pu rester cette notion positive, ouverte – l’économie n’est pas contingentée aux problèmes de chiffres, finances, rigueurs budgétaires etc. Non, au contraire – il s’agit de réactiver la part sensible que contenait le mot avant son pliage contemporain – en réactiver la part d’humanité. Quelle est donc l’économie avec un sens agrandi qui s’organise autour du projet?

La sensibilité passe avant la question économique. J’ai eu des difficultés pour le troisième numéro, pour plusieurs raisons. J’ai commencé la conception, la récolte des documents fin septembre et le livre n’est paru qu’en janvier, quatre mois de questionnements et d’inquiétudes, d’allers-retours. J’ai failli ne pas sortir l’ouvrage, je ne savais pas où me placer, la raison est simple, Remi Fraisse est mort d’une grenade tiré par un policier représentant l’état français². J’ai été profondément touché, choqué par la manière dont le gouvernement a répondu, ou plutôt n’a pas répondu, comme à l’habitude. J’y vois la bêtise des hommes et la vulgarité de nos dirigeants. Concernant la revue je me suis demandé à quoi servait une revue, à quoi sert de vouloir construire quand finalement ce sont les balles et les morts que l’ont nous promet, j’ai décidé de ne pas parler de ce trouble, par respect. C’est peut être individuellement qu’il faudrait commencer par faire sécession. Par une grève quotidienne ou des actions fulgurantes, nous retrouver.

Mais le projet est bel et bien reparti malgré un contexte désastreux…

Oui, disons que là c’est un arrière plan émotif, quelque chose de plus personnel, qui n’a pas vraiment à voir avec la conception matérielle de la revue. Concernant la méthode de fabrication et de diffusion j’ai fait le choix de commencer PLi de manière autonome, j’ai lancé un appel à souscription qui m’a permis d’imprimer un petits nombre d’exemplaires, appel que je dois d’ailleurs renouveler. Je ne me suis pas tourné vers le CNL ni vers la région ou le département, je n’ai couru aucune aide aussi pour ne rien imposer, si personne ne souscrit il n’y a pas de revue, c’est simple. Ce choix je suis en train de le repenser, on m’a proposé de diffuser la revue à Paris, Nantes, Rennes, Caen, Marseille… Mais je n’ai pas assez d’exemplaires, c’est aussi dommage pour les auteurs, et pour les lecteurs à qui je dois refuser le livre. Je vais donc relancer un appel à souscription et essayer de décrocher une aide afin d’imprimer d’avantage de livres. En revanche je ne pense toujours pas passer par un éditeur, si on me le propose pourquoi pas.

La suite, les perspectives qui s’ouvrent et le développement de la revue?

PLi est une toute jeune revue, je n’en suis qu’au troisième numéro, je ne sais pas encore comment elle va évoluer. Je garde toujours à l’idée de changer la forme du livre, pour continuer à expérimenter, ne pas se reposer sur un format toujours identique. J’aimerai éditer quelques monographies aussi. Mais tout cela prend beaucoup de temps, il faut aussi que je me concentre sur mon travail d’écriture, envoyer des tapuscrits à des éditeurs, ce que je ne fais pas. Il se peut que je lance dans les semaines à venir un autre type d’abonnement, une souscription à l’année pour un ensemble de travaux, édition, dessins originaux, gravures, disques, photographies, je pense que cet abonnement ne concernera qu’un petit cercle de personnes. Mais c’est un système d’échange intéressant et qui a du sens.

Justin Delareux répondant aux questions de La revue des ondes, avril 2015.

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(1) L’Abécédaire de Gilles Deleuze est un documentaire ou le philosophe s’entretient avec Claire Parnet, le film produit par Pierre-André Boutang, réalisé Michel Pamart et tourné en 1988, diffusé en 1996.

(2) Le 26 octobre, un tir de grenade offensive tue Rémi Fraisse, , un militant écologiste de 21 ans, Manifestation des 25 et 26 octobre 2014 contre le barrage de Sivens.*

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http://revuepli.blogspot.fr

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