La cave à Bidi

Un endroit. C’était  la cave de monsieur Bidi. Monsieur Bidi vient de Nador.

Il ne s’entend pas avec le reste de l’humanité monsieur Bidi. Il ne parle à personne dans ce quartier aux trois immeubles et aux deux parkings. Il communique rarement avec sa famille du Maroc au téléphone Bidi.

Il vit seul dans le seul studio de cet immeuble. Il vit à Dieulefit, dans le Dauphiné. Nous sommes en 1978. Bidi ne parle pas ou presque.

Bidi est embauché comme homme de ménage à l’hôpital spécialisé pour les asthmatiques. Il va au travail à pied, c’est à trois kilomètres de chez lui, une clinique d’asthmatiques en 1978.

Il part très tôt le matin, avant que le quartier ne sorte de sa fausse mort.

On dirait que les habitants du quartier sont toujours les mêmes. Ils sortent de l’immeuble le matin avec la même casquette, le même cartable, la même poubelle à la main.

Ils retournent dans l’immeuble en fin de journée, tous. Certains ont travaillé, d’autres n’ont rien fait ou jouer au PMU ou fait l’amour dans un parc avec quelqu’un, ou marché près du fleuve, le Rhône.

Le soir, les mêmes habitants du même immeuble du même quartier font semblant de mourir devant la télévision, ils se taisent devant le poste, ils se taisent devant leurs chaussures, ils se taisent devant patron, ils se taisent.

Des lendemains, multiples et tout le monde recommence ce qu’il a fait la veille. Ça donne le tournis. Les gens recommencent quelque chose et s’inquiètent et attendent les prochaines décennies.

Monsieur Bidi s’en fiche. Il n’a pas de problème le marocain de Nador. Il veut juste travailler et prier sa vie. Il veut une vie simple.

Il descend dans sa cave tous les vendredis. Il s’arrête devant sa cave dans l’obscurité.

Il fait la prière devant sa cave, dans le couloir de sa cave. Sa cave a le numéro 5, il est fier de sa cave. Dans la cave à Bidi aucun meuble entreposé, aucune coquetterie. Seulement une cave en béton. Une cave de berbère de Nador, une cave de marocain de quarante ans, la cave de la prière à Bidi.

Il n’y a pas d’endroit propre et rangé dans le studio à Bidi, il y a un évier et des casseroles sales et des chaussettes trouées posées sur le compteur du tableau électrique. Il n’y a pas d’appel à la prière dans ce studio et dans cette ville, l’appel vient d’en bas, il le sent, l’appel de la prière provient de sa cave. Il sent ça souvent. L’appel remonte les étages et arrive dans les oreilles et le cœur de Bidi déjà dans l’année 78.

Monsieur Bidi a une vie rangée, il travaille dans une clinique et il descend à la cave. Une vie à la con Nador de cet homme de ménage.

Une vie linéaire comme sa djellaba. La vie d’un homme qui s’ennuie lorsqu’il ne prie pas. Bidi cherche une quête de vision dans sa cave, il cherche la lumière dans sa cave.

Dieu est caché au fond de la cave à Bidi. Dieu pleure le soleil de Nador, dieu habite dans le HLM aussi, il squatte la cave de ce monsieur Bidi. Dans la cave il n’y a que la présence de quelques mobylettes et la silhouette de cet homme.

Monsieur Bidi propose de transformer sa cave et le couloir de sa cave en mosquée. Les voisins d’ici sont d’accord, ça fera une occupation collective. C’est un peu de spiritualité dans le béton, dans le goudron. Le maire de la commune ne sait rien, il n’a pas le temps de penser à la prière et au dieu de ces gens.

Monsieur Bidi prie dans sa mosquée, il a une vie simple en 1978. Tout le monde dans le quartier le rejoint peu à peu dans la cave pour une prière dans l’antre obscure du questionnement d’un monde, année après année. On s’ennuie, on va prier, on attend le messie, on attend qu’il arrive, qu’il nous regarde et nous sourit et nous sauve. C’était une sacrée cave que la cave à Bidi, pas une cave bidon ou une cave à bidons, c’était un sanctuaire qui sentait légèrement l’essence.

2013

Hédi Cherchour

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